fragile 1

L'installation " FRAGILE 1" est un travail qui parle de la fragilité du monde et de notre quotidien.

Sur environ 15 m2 des objets quotidiens intemporels habillés de scotch d’emballage « Fragile » encombrent l’espace réservé à l'exposition.

Au cours de son déroulement, pendant l'été 2016, j'ai invité le public à laisser des messages dans une boite à lettre.

 

Les images:

 

les retours du public

ex : un groupe d'écriture grenoblois a travaillé sur des photos de Fragile 1 : voici ce qu'ils ont écrit :

Atelier d’écriture – Grenoble – 27 septembre 2017

 

 

 

Attention ! Fragile !

 

Attention !

 

Mesdames et Messieurs je vous demande toute votre attention ! Ce moment que nous sommes en train de vivre, tous ensemble, chacune et chacun, seul ou en groupe, mérite quelques explications. Explication, c’est un bien grand mot ! car, comment expliquer ? Expliquer l’insondable, l’irrationnel ? Comment expliquer ce qui nous traverse à cet instant précis ? Ce qui nous relie et nous divise ? Ce qui nous porte et donne à chacun raison de vivre et de se battre ? Se battre ? Contre qui ? Contre la nature ou contre soi ? Est-ce d’un combat qu’il s’agit ?

 

Cela a commencé hier matin, 5h30, le sol a vibré, le lit a bougé, les verres ont chanté dans le placard, la porte s’est ouverte.  Ouverte vers l’inconnu… la vibration … l’origine du monde. Tremblement de terre à Haiti ! Le consulat a immédiatement averti tous les expatriés, les services d’urgence hospitaliers ont sorti le mesures d’urgence, la police est sur le terrain, tout est prêt pour agir.

 

Fragile ! Attention ! Agir !

 

Fragile ! Agir !

 

Agir !

 

C’était le mois dernier, un jeudi à deux heures du matin, sur l’autoroute, à 110 km heure, un choc sourd et violent, une masse heurtée. Alerte ! Agir ! Agir vite et juste, sans réfléchir, sans filtre, seule, toute nue. Si tu penses, tu meurs ; tu t’arrêtes tu meurs ; si tu poursuis tu ne penses pas et tu meurs pas. Alors tu as poursuivi, sans penser, sans peser, sans mesurer… seule à agir. La peur, ce sera pour plus tard. Plus tard, tu pourras t’arrêter, penser, pleurer et ré-agir.

 

Attention !  Fragile !

 

La vie est un fil, fil de soie funambule. ; tu avances au fil des émotions, fragile, sensible, tu vis, tu es vie. Fragile, tu mesures la puissance de la graine, de la fleur, du fruit, de la graine qui redevient fleur.
Tu mesures la richesse d’être fragile, la nécessité d’être fragile.

 

Tremblement de terre, ouragan, deuil, accident… appels à l’essentiel …à mesurer ce petit être au fin fond de chacun, ce petit être qui nous interpelle et nous relie, ce petit être fragile. Et qui nous dit : attention ! Fragile !

 

Martine

 

 

 

Et toi, qu’en penses-tu ? Co-plume, ta question, ce n’est pas : qu’en dis-tu ? Ou, que ressens-tu ? Ou, qu’est-ce que ça te fait ? Non ! Ta question, c’est qu’en penses-tu ?

 

Coplume, tu interpelles mon cerveau ?  Ce grand déchaîné ! Cette toupie folle ! Ce derviche tourneur ! Ce hamster, qui tourne indéfiniment dans sa cage, comme surdopé à l’EPO ! Cette aiguille qui galope sans fin après chaque seconde, perfusée par sa pile au lithium ! Oui, il est bien comme ça mon cerveau !  A tourner systématiquement, sans arrêter sa ronde folle. Aussi certainement que la terre, qui, non se tourne seulement tourne sur elle-même, mais en plus autour du soleil.  Il est toujours en mouvement, mon mental, sans jamais faillir. Aussi certainement que le bouchon se reforme tous les jours aux heures de pointe au passage du rondeau, ce pont noir de ma ville, et qui s’engorge tout aussi inexorablement les jours de grands départs en vacances. Mon cerveau, il est sans surprise, sans arrêt animé. Aussi sûrement qu’un conducteur, tout surpris par un cycliste traversant juste devant lui, va invectiver le cycliste imprudent, en l’abreuvant de sa peur sous formes d’injures. Ah ! Comme il est prévisible ! Comme j’aimerais pouvoir le contrôler, tel un compositeur de musique sur sa partition : « Sotto voce ! ou Piano ! Ou encore « Pianissimo » ! Et pourquoi pas le « silence ! » ou le Graal, le mettre définitivement en « Pause ! ».

 

Isabelle

 

 

 

Pour la boîte à lettre de Coplume

 

Les boucles dorées de la petite fille se reflétaient dans le soleil du soir. Elle avait posé Patichou, son petit ours, sa peluche préférée sur le banc en fer qui trônait tranquillement devant la maison sur la face sud. Elle l’avait placé de façon qu’elle puisse penser, imaginer qu’il la regarde. Elle avait mis les bottes en caoutchouc que Nana sa tante du côté maternel lui avait offert pour les grandes vacances l’année de ses 5 ans car elles étaient parties une semaine en camping dans le cœur des Vosges. Et même en été c’est une région où il n’est pas improbable de se faire rincer. Elle les adorait ces bottes, elles étaient vertes –grenouille, une couleur qui n’existe pas mais qu’elle s’était inventé car le nom lui plaisait, ça sonnait bien vert-grenouille, ça disait bien ce que cela voulait dire. De plus ces bottes étaient confortables. Et elles lui donnaient l’impression d’avoir des bottes de 7 lieux aux pieds. Elle se sentait alors grande, forte et presque aventureuse, téméraire même. Elle flottait dedans car sa tata avait pris une pointure de plus que sa taille prétextant qu’elles lui serviraient l’été suivant pour une nouvelle escapade dans le Finistère. A croire que tata n’aimait passer ses vacances que dans des coins pluvieux.

 

Ces bottes n’étaient pas les chaussures les plus pratiques pour faire du vélo. C’est sûr ! Mais elle les avait choisies pour ce grand jour.

 

La petite fille aux cheveux d’or pédalait sur la petite route qui passait au sud de leur maison, celle qui va de St Amant à Villard- Rouge, deux patelins tout aussi perdus l’un que l’autre. Personne ou presque ne l’empruntait car le revêtement était tellement moins bon que celui de la D874. Quelques tracteurs y passaient pourtant, pour rejoindre les champs alentours. Alors elle faisait un tour d’honneur sur son vélo à roulettes, tranquille et fière. Un dernier tour avant d’entrer dans la cour des grands. Car c’était décidé, elle avait demandé à son papa de lui enlever les roulettes. Elle s’est retournée pour faire un salut de la main à Patichou, pour lui montrer combien elle avait grandi et que de nouvelles aventures l’attendait. Elle souriait, elle riait, elle était insouciante et heureuse.

 

Elle n’a donc pas vu arriver la moto qui s’était déportée pour éviter un nid de poule.

 

Ce qui restait du vélo à roulettes a été entouré de ruban rouge et blanc marqué FRAGILE

 

Elisabeth

 

 

 

La petite boutique

 

Dans sa boîte : des cloisons, des tiroirs, des cases, des rangements, des espaces superposés. A chaque compartiment : sa marchandise. Pas tout à fait attribué : chaque recoin était polyvalent se remplissant et se vidant au fil du parcours.

 

Des fils ? Il y en avait justement ! Des blancs, des rouges, des bleus, mais surtout des noirs et des gris, à repriser, à broder, à surjeter, à ourler, en bobines, en écheveaux.

 

C’était ça son fonds de commerce à Auguste ! Il colportait de la mercerie : les fils, les aiguilles, les rubans, les dentelles, les galons, les lacets, les passe-lacets, les tresses, les croquets.

 

Il en semait sur en chemin entre La Chaise-Dieu et Thiers.

 

On l’attendait : les filles et les femmes surtout.

 

Pour les hommes : il avait de quoi dépecer, trancher, couper, désosser. C’était au passage de retour lorsqu’il revenait de la vallée de la Durolle.

 

Sa caisse était plus lourde dans ce sens-là. Il portait les commandes de l’aller choisies sur le catalogue Sabatier, plus quelques nouveautés que lui confiait Madame Armande, Sa bienfaitrice qui l’avait extrait de l’enfer des forges quand il avait quinze ans. Auguste lui restait fidèle et reconnaissant.

 

Il était donc aussi colporteur en coutellerie. Sa première marchandise. Depuis, il avait bien diversifié sa quincaillerie mobile.

 

Dans sa vitrine ambulante il y avait aussi des enveloppes et du papier du moulin Richard de Bas : de beaux papiers épais ou transparents, solides ou fragiles comme des dentelles. Ils les « voyageaient » au fond des vallées, leur faisait grimper les cols, parcourir les landes, traverser les forêts... Il en déposait quelquefois sur son passage. Voire, il aidait à les écrire car lui savait lire et écrire Ceux des faubourgs d’Ambert, ceux des villages, ceux des fermes ne savaient pas. Alors, il faisait « l’écrivain public », « le passeur », « le facteur », « le messager » désignations variées selon les gens qui lui étaient redevables. Il récoltait des confidences secrètes des querelles ancestrales, des requêtes administratives, des mots doux. Il les transportait cachetés et cachés dans le double-fond de sa boîte.

 

Cela ne pesait pas lourd. Beaucoup moins que les perles et les médailles.

 

Car dans sa boîte, il y avait aussi cela : des rosaires et chapelets en pièces détachées. La maison Ouvry Béraudy et Cie, les lui confiait lorsqu’il remontait vers Thiers.Il alimentait les monteuses à domicile qui dans les jasseries l'été, dans les fermes de bas étage l'hiver, s'usaient les yeux à enfiler les perles et les breloques : c’était un revenu complémentaire tant pour lui que pour les faiseuses. Auguste ne se chargeait pas de les rapporter à La Planche lorsque les travaux étaient achevés. Joséphine passait les ramasser et les payer.

 

Mais le plus joli, le plus léger, le plus fragile des trésors de la boîte, c'étaient les napperons, les cols et les coiffes de Violaine. En plus de son ouvrage de dentellière à la fabrique d'Arlanc, la demoiselle inventait des modèles merveilleux qu'Auguste écoulait facilement. Il les rangeait dans un compartiment spécial de sa petite boutique, emballés de papiers de soie que Louisette volait pour lui au moulin Richard de Bas.

 

Et puis quelquefois, Auguste transportait les fragiles broderies de Garance, sa cousine

 

Il n’en faisait pas commerce mais cadeau : il les offrait à ses bien-aimées.

 

Auguste savait bien le monde délicat des demoiselles.

 

Michelle

 

 

 

Ce déménagement était le départ vers une nouvelle vie, un élan prometteur vers un avenir radieux. Une nouvelle ville, une nouvelle maison plus vaste, bien située, des revenus supérieurs, tous les voyants étaient au vert.

 

La maison avait sorti tous les objets qu’elle abritait et dont elle allait être vidée. Hugo, le jeune cinquantenaire ne savait exprimer son malaise de partir d’ici. La multitude de choses éparpillées dans le salon le regardait comme si elles lui disaient : « et nous ? où est notre place ? ». Ce vélo d’enfant qui n’avait plus d’utilité, que fallait-il en faire ? Il ne rentrait pas dans un carton. Ses petites roues latérales en faisaient un objet encombrant. Pourtant, lors de son heure de gloire, ce magnifique premier vélo rouge avec sa grosse sonnette sur le guidon avait été accueilli comme une monture de roi. Toute la famille avait assisté aux premières randonnées chaotiques, ponctuées de chutes, de rires et de larmes d’enfants. Puis un jour, Hugo, armé des clefs adéquates avait démonté les roulettes et son fils avait enfin pris son envol vers la liberté. Son fils avait passé une étape clef de la vie : savoir faire du vélo.

 

Tout cela était loin dans le passé, alors, pourquoi restait-il figé devant cet objet, soudainement triste et vide, ne sachant que faire ? Il prit un rouleau de plastique bulles et commença à emballer le vélo. Pourquoi ? il n’était pas fragile, il pouvait tout aussi bien être jeté par-dessus les cartons dans le camion de déménagement. Néanmoins, Hugo, consciencieusement emballait, protégeait ce souvenir du passé. Le rouleau entier y était passé. Les formes anguleuses du vélo s’étaient arrondies, il avait pris du volume aussi, un vélo c’est toujours maigre mais là il était rebondi. D’un objet dur, métallique, il était devenu moelleux, élastique. Il avait l’air d’un cadeau.

 

Hugo était moins triste, il lui semblait que le vélo ainsi paré allait lui aussi vers une nouvelle vie. Il le déposa délicatement sur la pile des cartons et se senti apaisé.

 

Serge

 

« Ça te scotche, hein cette histoire !

 

Tu me crois jamais de toute façon, quand ça t’arrange, tu me files un grimpant à réparer, le vintage authentique, ça te connait, hein ! »

 

Le grimpant, c’est pas du lierre, c’est le petit nom pour un pantalon-un jean quoi, les rolling stones tu connais ! Y’a pas plus long, plus désuet, plus…enfin couru d’avance que de rapiécer le genou d’un jean ! Remarque, si, il y a les fermetures éclair, les démonter, les remplacer, c’est plus technique qu’il n’y parait, tu sais ! Le plus long pour un grimpant au genou défaillant, c’est d’ouvrir la couture, alors :

 

« je vais te filer un découd-vite et tu vas fendre le côté de ton levis, de la cheville jusqu’à la cuisse » Après ça je veux bien m’y mettre.

 

Elle lui tend le découd vite : « tiens ! »

 

Il commence à découdre le bas de la jambe droite du levis.

 

Elle lui dit « j’aimerais bien que tu y mettes du tien de temps en temps quand même, à force de croire que le monde a tourné sans nous, on se détache, on tient pas la route !

 

Il répond pas, son ouvrage n’avance guère !

 

Elle : « Tu vois par exemple, la pièce que tu m’as apportée pour ton jean, bah tu vois elle est trop petite, elle correspond pas ! »

 

Elle le regarde, la pièce de jean trop petite, dans sa main.

 

Il hésite.

 

Avec cette timidité qui lui prête le temps de réfléchir et surtout qui lui donne l’audace de se taire ……

 

Il dit : « la vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas ».

 

Et là, à ce moment-là, elle le trouve tellement beau, tellement juste,

 

Sa parole a fait mouche, une fois encore !

 

Elle est le cœur de la cible.

 

Le désir est là.

 

Le velours.

 

Elle se lève

 

Anne

 

 

 

- Voilà, c’est fait.
- Bravo, vous êtes formidable, vous n’imaginez pas le pas en avant que vous venez de franchir.
- J’ai eu beaucoup de mal à choisir, ………... cela fait un an que je n’avais rien retouché. Je voulais tout laisser en place, vous comprenez, comme s’il ne s’était rien passé, comme si elle pouvait revenir…
- Oui mais elle n’est plus là.
- Vous croyez que je suis folle d’espérer, même si je sais ? (….)
- Qu’avez-vous choisi ?
- Le vélo…..
- Pourquoi le vélo ?
- Parce que c’est la dernière joie qu’elle a eue… On avait fait le tour du pâté de maison dans l’après-midi. Elle nous disait, « les p’tites roues, elles touchent plus, on les entend plus ! ». Son père lui avait dit qu’il allait les enlever et accrocher un manche à balai juste derrière la selle, comme pour sa sœur, juste pour soutenir par instant son équilibre en courant derrière elle.……………….. Vous savez combien de rouleaux j’ai utilisé pour les roues ? …….. 4 rouleaux, 4 rouleaux de 10 mètres. …………. Et combien de temps ça m’a pris ? 2 jours ! Il y en a des couches, celui qui voudra récupérer le vélo, il en aura du boulot !
- Quoi d’autre ?
- La poupée, …… son doudou, ……… combien de fois elle a cru l’avoir perdue, ………. Et maintenant c’est elle qui est perdue……. Plus personne pour s’occuper de la poupée. Là aussi, facilement 2 rouleaux…….une demi-journée…….et 3 seaux de larmes. (….)
- Et la voiture ?
- La voiture c’est sa grand’mère paternelle. Une ex-soixante-huitarde qui pensait qu’une fille devait avoir une voiture. Elle n’y a jamais touché mais elle la conservait sur son étagère. Peut-être pour un jour où elle deviendrait plus grande…. (………………….). Et bien-sûr les bottines, c’est celles qu’elle devait mettre parce qu’il devait pleuvoir. Mais elle a fait un caprice et j’ai cédé, elle est partie en baskets…. Peut-être que si j’avais insisté, au bout d’un moment, elle aurait mis ses bottines. Alors on serait arrivé plus tard, et peut-être elle serait toujours là………
- Elle n’est plus là et ce n’est pas de votre faute…… Et le premier personnage devant, tout maigrelet ?
- C’est elle….. Pas même un quart de rouleau, je voulais qu’elle reste fine, toute légère.
- Nous en resterons là pour aujourd’hui. Vous faites un bon travail, un très bon travail. Si vous voulez aller plus loin, il vous faudra exposer votre œuvre,…. et en parler.

 

François

 

 

 

Les bottes séchaient dans l’entrée. Elles sentaient la terre, l’humus, le champignon, l’humidité. Elles témoignaient d’un entrain, d’un appétit de vivre, d’entreprendre, d’une habitude à être au bon endroit, au bon moment. Cet homme-là savait quand sortir après la pluie, quand allumer le feu, ou lever la tête au passage d’une étoile filante.

 

Elle en fut touchée, et un peu intimidée. Elle qui était tellement hésitante. Tellement fragile, aussi.

 

Elle pénétra quand même dans le chalet. Des livres occupaient tout un pan de mur de la pièce. Des livres …vivants. Ce n’était pas une collection bien rangée, c’était des livres dépareillés où la poussière n’avait pas le temps de se poser.

 

Elle en fut encore plus intimidée. Elle s’enhardit néanmoins à faire quelques pas dans ce salon paisible.

 

« Y’a quelqu’un ? »

 

Elle espérait que personne ne répondrait. Contre toute logique. Le feu brûlait dans la cheminée, des lampes étaient allumées, une odeur de nourriture flottait dans l’air. Elle posa à ses pieds le sac à dos trop lourd qui lui sciait les épaules et attendit.

 

« Y’a quelqu’un ? » répéta-t-elle un peu plus fort. Elle respira fort, se prépara à la rencontre. Imagina l’occupant de ce salon chaleureux. Je vais lui dire que je suis en panne, que j’ai perdu mon téléphone, que mes amis m’ont oubliée, que je traverse les Alpes à pied et que là, vraiment, là, il fait trop froid dehors. Je vais lui dire …

 

Elle s’arrêta de chercher et posa son regard sur le fauteuil tout proche de la cheminée. Elle se sentait attirée par ce fauteuil, par le feu, la chaleur, la lumière. Elle redoutait d’avoir à ressortir dans le noir, la solitude et la peur. Sans y penser, elle s’assit, délaça ses chaussures, plia ses genoux, les enserra de ses bras, y posa la tête doucement en fermant les yeux.

 

Elle n’avait pas éprouvé autant de bien-être depuis des jours. Depuis qu’elle était partie sans réfléchir, en apnée, parce que quand on a trop mal, la seule chose qui permet de le supporter, c’est de marcher.

 

Mais maintenant, elle était fatiguée, elle avait froid, et elle ne savait vraiment pas où aller. Alors cette lumière dorée, derrière la vitre, l’avait attirée comme un aimant.

 

C’est un vieux qui devait habiter là, un type revenu de tout, qui se suffisait de sa seule compagnie, un type un peu sauvage, mais forcément bon.

 

Elle se détendait dans son fauteuil, en oubliait qu’elle était chez un inconnu dont elle ne savait rien, était sur le point de s’assoupir, engourdie par la chaleur, et l’aspect rassurant de cette pièce à la fois vide mais tellement habitée. Un pas dans l’escalier la ramena, d’un coup, dans la réalité.

 

Elle aperçut d’abord des chaussettes rouges sur la marche du haut, puis un pantalon trop large aux genoux déformés, maintenant un pull en maille fine qui contrastait le velours épais du pantalon, un col de chemise dépassait du col. Elle se leva brusquement.

 

« Excusez-moi, j’ai appelé, vous n’avez pas répondu. »

 

La première chose qu’elle vit de son visage, c’étaient d’immenses yeux bleus désarmés et interrogateurs. Il ne dit rien, attendait qu’elle parle. Mais elle, elle se taisait, craintive, et le regardait avec son air à la fois fragile et plein d’espoirs, presque suppliant.

 

Il ne disait toujours rien, semblait hésiter sur la conduite à tenir, contrarié de la trouver chez lui, un peu apitoyé aussi, sûrement devant ce chat mouillé et efflanqué qui gouttait sans vergogne sur son tapis.

 

« Vous êtes… en fugue ? » demanda-t-il enfin d’une voix un peu sèche. Question étonnante, elle n’avait plus vraiment l’âge des virées d’adolescentes.

 

« Oui, non, enfin, c’est compliqué. »

 

Il la détaillait, son visage, ses vêtements, ses chaussures, son sac à dos

 

« Pour cette nuit, vous pouvez dormir dans la chambre du bas. »

 

C’est comme s’il se forçait à être dur, imperméable. Elle tenta sa chance et lui sourit. Avec ce sourire qui d’habitude marchait toujours. Celui qui l’avait toujours tirée de toutes les situations jusque-là. Sauf une fois.

 

« Je ne ferai pas de bruit. »

 

Il baissa les yeux, pour éviter ce sourire un peu trop innocent.

 

« Il me reste un peu d’omelette, si vous aimez les champignons. Vous partirez demain matin. »

 

Ou pas ! se dit-elle en se rasseyant confortablement dans le fauteuil près de la cheminée…

 

Véronique

 

 

 

cœur fragile et  force vive

 

Jeudi 10 septembre .  10H00 ; quelques  jours après . 

 

Le soleil d’automne pointe son nez sur la terrasse du café. Assise à la table , je présente mon corps à   la chaleur de chacun des rayons, j ‘écoute , je regarde autour de moi, perdue, égarée comme si chaque instant était une première fois …  les battements de mon cœur s’accélèrent ;  ma tête s’ affole …   chaque murmure des conversations raisonne en moi  .

 

 Je prends de plein fouet la peine de cet homme assis en face de moi,  incrédule devant la lecture du  dernier message  qu’ il vient de consulter.

 

Je déteste les messages  .. je ne veux plus recevoir de sms , je ne veux plus… une vie peut basculer avec un message 

 

 A l’intérieur je hurle « Noooon pas maintenant ; line  pas maintenant !!!!

 

 Le serveur se penche vers moi : vous désirez un café ?

 

 oh noooon ….putain ! qu’est-ce qu’ils sont bleus ses yeux ! bleu comme la mer de Moorea , bleu perçant !  Son sourire ! grand ; large ; généreux …. la chaleur de Tahiti en un regard !  Tahiti … Moorea ... la fin de cet amour …

 

  …je reste coi … rien ne vient, je ne sais pas quoi répondre ….

 

« ça va madame ?  vous … vous voulez un café … ? »

 

Rien ! … rien ne vient … le silence … Mon regard s’accroche à lui comme si ma vie en dépendait … rien … je ne peux répondre …

 

Je hoche la tête

 

« bon ben je vous mets un petit café …. avec un verre d’eau … ça vous fera du bien… »

 

 je continue d’hocher la tête en souriant …

 

line ressaisis toi !!!! ce n’est qu’ un regard !  line , tu vas tout  foirer … putain pas maintenant !

 

Je me précipite sur mon tabac pour me donner une contenance … vite rouler une clope !  Tout le monde me regard e … je comprends que je pleure …. de longues larmes coulent sans arrêt derrière mon sourire . le sang dans mes jambes se vident , mes mains tremblent …. j’attends ; en respirant profondément  j’ attends que la vague se  calme  ….

 

 Marc arrive dans son costume noir. son attaché case à la main ! il s’assoit en face de moi , me regarde avec mépris :

 

toi… t’es encore out ! partie  dans les iles .  mais qu’est ce que tu fous !  tu rêvasses  … allez ressaisis toi  bon sang !  tu ne vois pas qu’on a un challenge à relever ! bon sang !

 

Je le regarde droit dans les yeux …. et tout devient clair …  mais  qu’est ce que je fous avec ce con ? …

 

 il poursuit ses invectives

 

 lentement , très lentement , je lève  mon verre d’eau et…. je lui balance  à la figure !

 

Toute la terrasse est en arrêt ! Marc   reste perplexe …

 

sans un regard , je lui jette  « un pauvre con » . l’homme à la peine me sourit  comme s’il m’applaudissait

 

ma décision  est prise !

 

 ce soir je prends un vol pour Papeete et je m’en vais le retrouver .

 

Sinon … il sera trop tard

 

Sylvie